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Elle est belle à se pendre, c’est une muse cannibale. Rien n’y personne ne serait comprendre ce qui agite l’esprit égaré de ce spécimen bizarrement haletant. Sans cesse sur le fil, l'acrobate vacille, elle trébuche et attend avec impatience le moment où sa cheville se cassera. Un sinistre craquement, et la chute vertigineuse. Quatre, cinq, mètres plus bas. Plus de douleurs, plus d'aspirations. Un néant parfait, une langoureuse symphonie. Chienne ! Plait-il ? Demoiselle de bas étages tapotant sa cigarette d’un air vaguement aristocrate. La fumée qui sort d’entre ses lèvres collantes, n’est que poison et désillusion. Madeleine existe, sans vraiment y consentir. Elle refuse de distinguer la réalité, elle préfère se noyer dans une trépidante perdition des sens.
Un sourire, et le malaise s’évanouit. On se laisse prendre au piège, on se fait berner par ses immenses prunelles à la couleur du myosotis. Les pupilles se dilatent, se transforment en deux superbes morceaux d‘obsidienne.
Aigre petite chipie, toute baveuse et geignarde. Elle avance à reculons, elle piétine et grogne. Jeune donzelle hargneuse, ne supportant pas la concurrence et les perdants. Artiste, qui s’envole en s’écrasant. Qui creuse le fond d’un trou dont elle ne verra sans doute point la fin. Dramatique. Faiblarde conscience, morale désagrégée. La sylphide s’amuse joyeusement. Inabordable exemplaire, issu de l‘aliénation d‘une race. Trop absorbée par elle et ses passes temps difficiles. Je suis l'empire, marmonne t'elle fière de sa trouvaille. Une claque. Un retour. Non. L'envie démange, mais ce serait là pur outrage. Car la muse vous choppera un doigt et le recrachera dans son whisky. A vos souhaits ! Merci.
A peine plus lucide qu’un poisson rouge sorti du bocal. Ange crachouillant sur son prochain, et tannant allégrement le postérieur de son heureux propriétaire. Psychotique, il semblerait. La violence imbibant son être, on l'a dit aussi inoffensive qu'une boîte d'allumette proche d'un bidon d'essence. Madeleine n’est pas saine, Madeleine est incroyablement tourmentée.
Dans son monde, elle est une Reine. Une Reine des glaces intouchable et invincible. A tendance nettement autodestructrice, la brune haut perchée se mutile de multiples manières. Ca lui prouve qu’elle existe, qu’elle est réelle. Elle pleure peut être, mais toujours et inlassablement les blessures s’en vont. Se résorbent dès les premières secondes. L’épiderme se régénère sous son minois émerveillé et gelé d'enfant perturbée. Elle se dissimule derrière une crinière rebelle à la couleur d'ébène. Languissante sirène, elle a le visage parfait de l’ange mais l’âme infâme du démon.
La démarche lascive, le monstre s’avance vers sa proie future. garce galopante, s’entortillant amoureusement dans les tripes et les viscères. A quatre pattes dans son cossu salon, elle s’ébroue et fait l’éléphant. Rien d'étonnant. Tiraillée entre l’adoration servile qu’elle porte à son créateur, - quel est-il me demandez vous ? On hésite en la regardant, du Dis à celui d’en Dessous. Cela dépend de l’humeur du jour. - et les prouesses dont elle peut faire preuve. Calculette, tap tap tap, elle pianote, le résultat est affligeant. Graou, maugréait t’elle en balançant sa gringalette carcasse de gauche à droite. Répugnante dépendance, inopinée obéissance. Un coup sec fait gicler de l'hémoglobine. Ca éclabousse les meubles, la moquette sale, ses longues chaussettes dépareillées. L’arme du crime, un bibelot dans sa main. Presse papier Mickey. Madeleine frappe une seconde fois, juste pour la forme. Il faut être sûre qu’il ne se réveillera pas, ce salaud ! Avant une bonne petite heure, ou jamais. Son nez est alléché par la lymphe purpurine.
La folie n’est pas contagieuse. C’est inscrit sur la notice. Prescription avant adoption. Sa gambette tressaille sous le poids du presque-cadavre. La française à mégots se cramponne à la chemise défaite, et tire dessus de toutes ses minimes forces. Fulminant contre l’apollon affalé, la princesse chigne et tambourine à intervalle régulier de son pied autonome sur l'homme. Nous supputons qu’elle sera bientôt une évadée mise hors de causes. Ephèbe à usage unique, Madeleine n’apprécie pas tellement les animaux de compagnie.
Les cloches raisonnent. Il est pile l’heure de l’enterrement, la garce en est sûre. La tête dodelinant, elle avance, charmante. Sautillant, la mort excite ses pupilles ainsi que ses papilles. Sublime dégénérée, elle offre une valse macabre. La mélopée la berce, les quantiques lui indiquent la fin d’une existence. La renaissance ne serait tarder. Pénétrer dans l’immoralité la plus acerbe. Elle siffle. Petit oisillon chanceux, qui piaille gaiement. Le massacre d'autrui la fait glousser effrontément. Que peut-on reprocher à l'impertinente ? Elle est intelligente. Peut être trop. Dans ce regard turquoise, on discerne la ruse et le mensonge. La haine la plus brutale et animale. Le sadisme le plus exquis dégouline de chacun de ses pores. Ce n'est pas de sa faute, bafouille t'elle. Ce sont les voix qui l'obsèdent. Alors pour que le silence divin règne, elle applique méticuleusement les consignes. Le songe et le manque de clairvoyance emportent dans de douteuses fantaisies. Tant pis. Ses baisers se perdent entre ses doigts. Sur sa nuque. Sur son torse froid et poisseux. Elle sourit, ravie de son chef d'oeuvre. Extase sans nom. Et le sourire s'efface telle une esquisse ratée. S'en est fini de lui. Anonyme. Freluquet rencontré dans un bar.
Dommage.
Les larmes dégoulinent sur ses joues pâles et creusées. La poupée pleure, puisqu'elle se sait démente.

CHRONOLOGIE RAPIDE
— 1778 : Naissance à Paris de la mignonne Madeleine Louise D'Harcourt, au sein d'une famille bourgeoise.
— 1798 à 1799 : Madeleine se met à fréquenter dès ses 20 ans les cercles clandestins, d'intellectuels et d'artistes. Elle est à la recherche de réponses. Paris. La jeune femme est insatisfaite de ce qu'on lui montre, de ce qu'on lui a appris jusqu’à maintenant. Impossible pour elle de mettre le doigt sur ce qui la chagrine. Elle a seulement des certitudes, des sensations et des idées inébranlables. Elle ne les expose pas, trop prudente pour cela. Elle fouille, fouine, écoute et observe attentivement. Espérant découvrir une quelconque vérité qui échappe aux yeux de tous. Comprendre son prochain ne l’intéresse guère. C'est avec égoïsme et désillusion que petit à petit elle s'enfonce dans une sorte de dépression. Ses recherches n'aboutissent à rien. Ce monde lui semble atrocement fade. De nettes tendances suicidaires se développent chez elle. Sa double vie ne l'aide pas à se stabiliser.
— 1800 : Date de l'étreinte. Paris. Nom du Sire : Emma (poète et philosophe). Coupe tous contacts avec sa famille. Madeleine rencontre Emma lors d'un regroupement. Dépressive et désenchantée, elle est jeune et superbe. Pourtant de redoutables névroses déjà l'étreignent. Emma sent la fragilité de la belle enfant, et s'en sert à son compte. Vampire excentrique en proie à la solitude. Madeleine souhaite mettre fin à ses jours car les réponses qu'elle cherche jamais ne viendront, pense t'elle. Elle s'ouvre les veines. Emma lui offre le baiser des damnées, sans son consentement. Pour quelle raison ? Une fascination morbide pour cette rose noire, perle rare selon elle qui ne demande qu'à s'ouvrir afin de pouvoir répandre son parfum aussi doux qu'il peut être meurtrier. Sujet d'études pour la vampire, elle ambitionne découvrir les méandres de l'esprit tourmenté de Madeleine. Son Infante devenant une sorte de hobbie, un passe temps dans sa longue vie, un jouet. En se réveillant, changée. Madeleine croira être devenue folle. Elle n'accepte pas sa nouvelle nature. Emma menace sa famille, Madeleine se plie aux désirs et exigences de son Sire. Ses pulsions suicidaires ne s'estompent toutefois pas. Transformation engendrée suite à un suicide, elle reste marquée pour le restant de son immortalité. Instincts d'autodestruction fort prononcés.
— 1810 : Voyages des deux vampires à travers le monde. Madeleine commence à pardonner l'acte d'Emma. Car enfin, des réponses lui sont données. Elle croit recommencer à exister. Bonheur de très courte durée. Las , mélancolique, Emma laisse sans se retourner son infante à peine capable de se contrôler. La présence de Madeleine et de ses remarquables prouesses d'horreur et de sadisme ne viennent pas à bout de son mal être. Suicide d'Emma à Pragues, sous les yeux turquoise de Madeleine. Pas une larme, pas de chagrin. C'est une sorte de libération qui s’opère. Sensation fugace, la liberté supposée lui est arrachée dans la semaine qui suivra le drame. La solitude et l'abandon la poussant au bord du précipice, l'aliénation complète l'embrasse. Son don d'empathe se développe. Madeleine est prise au piège, son corps devenant une prison de glaces et fureurs enlacées.
— 1811 à 1901 : Période noire. Madeleine ne se souvient que de bribes éparses et ensanglantées. La jeune femme a littéralement perdu l'esprit. Elle n'a fait que sauter de ville en ville. Une course contre la montre, ou la mort. Elle fuit. Que fuit t'elle à cette époque ? Elle n'en a aucune idée... Le néant l'habitude. Elle se fuit, elle même.
— 1902 : La poupée cassée trouve son salut dans la peinture. Un refuge qui lui permet d'évacuer le trop plein de perceptions. Les malaises et les troubles s'adoucissent lorsqu'elle s'installe devant une toile. Unique moyen d'expression pour elle. Madeleine ne sait pas parler dès que cela la concerne intimement. Ayant de grandes difficultés de communication, son don la rend distante, inhumaine, totalement dépouillée de ce qu'elle était jadis. Les vagues de sensations émanant de ceux qui l'entourent la fracassent, la broient. Après quelques tentatives de luttes, qui se sont soldées par de disgracieux échecs, elle baisse les bras. Madeleine devient un trou béant, purulent et suintant. Une brèche dans l'espace, dégoulinant de sentiments qui ne lui appartiennent définitivement pas.
— 1903 à aujourd'hui: La sirène, vacille entre folie et froide lucidité. Aussi tranchante et glacée qu'une lame de rasoir. Elle file sous les gorges, déchire et avale pour satisfaire ses sibyllines névroses. Le monstre en elle n'a jamais vraiment réussi à contrôler la soif et la rage. Barbarie exacerbée. La muse cannibale mélange avec élégance lascivité et lubricité ; cruauté et férocité... Parfois simplement de la méchanceté. Elle doit se venger. Se venger de sa condition, se venger de ce qu'on lui inflige. Elle doit partager son malheur, et sa disgrâce pour calmer ses délirantes envies de feu et de sang. Sa conscience est une épave, tout n'est que lente agonie. Discrète et impitoyable. Elle est une ombre qui disparaît le jour levé. Une chimère indomptable qui sait se canaliser quand il le faut avec son art. La peinture est un remède, qui n'est pas passé inaperçu fin XX siècle. Lui permettant de vivre sans se soucier d'un quelconque besoin d'argent. Une rente régulière lui est octroyée avec les ventes effectuées. Elle se fait passer pour humaine, son agent - Lucas - lui même ignore sa véritable nature. Pourquoi ? Madeleine ne souhaite pas attirer l'attention sur elle. Préférant vivre recluse, plutôt que de devenir un objet de curiosité ou de convoitise. Elle signe ses toiles par MDH. Tout le monde ignore son vrai visage, sauf son agent efféminée, épouvantablement positif et pragmatique.
— 2011 : Fraîchement débarquée à la Nouvelle-Orléans sous la directive de Lucas. Elle doit y faire une grosse exposition de tableaux. Madeleine a décidé de s'installer en ville, afin de changer d'environnement. Elle est ici depuis quelques mois. A son arrivée, elle n'a eu qu'une obsession en tête. Régler la paperasse, et surtout se présenter brièvement au maître de cette fichue ville. Chose faite, elle a pu replonger dans l'anonymat. Disparaître des radars étant son humble spécialité.